in

Sapin et cadeaux : les origines médiévales de Noël

Est-ce que vous vous êtes déjà demandé comment on fêtait Noël au Moyen-Âge ? Après tout, on peut avoir l’impression que toutes les générations du passé ont fêté Noël : parents, grands-parents voire même arrières grand-parents pour ceux qui ont une longévité d’éléphant, tout le monde a des souvenirs de cette fête si particulière. Qui n’a pas entendu la fameuse histoire des grands-parents qui racontent avec émotion qu’ils recevaient une orange à Noël, suivie aussitôt d’un haussement de sourcil désabusé des enfants prêts à ouvrir le paquet contenant une voiture télécommandée ?

Et pourtant, Noël, comme tout objet culturel et social, a une histoire. Et dans ce cas précis, une très longue histoire même. Je vous propose aujourd’hui de remonter le temps pour tenter de retrouver, quelque part entre le IVème et le XVIème siècle, l’origine de deux éléments majeurs qui constituent le Noël contemporain : le sapin bien sûr, mais également la pratique des cadeaux. Si vous voulez en apprendre davantage, vous pouvez écouter l’épisode Mystères et traditions d’un Noël médiéval, du podcast le Moyen-Âge dans tes Oreilles.

Sélestat, capitale du sapin de Noël depuis 1521 ?

Vous avez peut-être déjà entendu dire que Sélestat, cette petite ville alsacienne à 20km de Strasbourg, serait la capitale historique du sapin de Noël. Chaque année, la Bibliothèque humaniste exhume de ses archives et exhibe fièrement au public un registre comptable de 1521. On y trouve la mention suivante : « item, 4 schillings au garde-forestier pour qu’il garde le mai à la Saint-Thomas ». Plutôt sibyllin non ? C’est vraiment ça, la plus vieille mention écrite d’un sapin de Noël ?
On va décortiquer ça ensemble. Un mai, c’est un arbre festif, dont le terme vient du latin maius, le qualificatif donné au dieu Jupiter pour symboliser la croissance des plantes et le renouveau de la nature. La Saint-Thomas, c’est le jour du solstice, le 21 décembre. On sait donc que le 21 décembre 1521, la ville de Sélestat a payé son garde-forestier pour qu’il s’acquitte d’une mission spéciale : surveiller un arbre festif le jour du solstice. On ne sait pas de quel arbre il s’agit, ni où il était placé exactement, ni pourquoi c’est à la Saint-Thomas en particulier qu’il faut le surveiller.

 

La ville de Sélestat, dans le Bas-Rhin, possède une mention d’un arbre festif datant du 21 décembre 1521.
Voici le registre comptable original comportant cette fameuse mention : la Bibliothèque humaniste de Sélestat le présente au public chaque année au moment de Noël.

 

En réalité, la tradition de couper des branches vertes ou même carrément des arbres aux alentours de Noël est très ancienne en Alsace : dans les droits coutumiers, on croise des mentions qui le suggèrent dès le XIIIème siècle. Les végétaux qui restent toujours verts, comme le houx, le buis, le laurier, sont recherchés pour les fêtes de fin d’année car ils symbolisent la force de la nature qui se renouvelle. En revanche, c’est à Strasbourg que l’on trouve la première mention écrite d’un sapin en particulier. Elle se trouve là encore dans un registre comptable, celui de l’œuvre Notre-Dame. Cette institution, qui s’occupe de la construction et de l’entretien de la cathédrale de Strasbourg, note fin décembre 1492 : « acheté neuf sapins pour fêter la bonne année dans les neuf paroisses, et pour ce donné 2 sous ». Voilà qui est déjà plus clair non ? Pas de doute, on se trouve en présence de la plus ancienne mention du sapin de Noël !

Il faudra toutefois attendre jusqu’au milieu du XIXème siècle pour que le plus célèbre des conifères festifs se lance à l’assaut des maisons familiales, sous l’influence germanique notamment.

Depuis quand offre-t-on des cadeaux de Noël ?

Avoir un sapin, c’est bien, mais en plus de la décoration, il faut bien entendu des cadeaux au pied de notre arbre ! La tradition des présents de Noël trouve elle aussi son origine dans les derniers siècles médiévaux.

Pour commencer, rappelons que le temps des festivités médiévales dépasse largement le seul jour de Noël. Aujourd’hui, on appelle « fêtes de fin d’année » le temps qui s’écoule entre le 24 au soir et le 1er janvier. Durant le Moyen-Âge, cette période a connu plusieurs évolutions. Le cœur des festivités, c’est ce qu’on appelle le cycle des Douze Jours, qui dure du 24 au soir jusqu’à l’Épiphanie, le 6 janvier, qui commémore la venue des Rois Mages auprès de l’enfant Jésus. Contrairement à ce qu’on connaît aujourd’hui, ce cycle est émaillé de plusieurs fêtes : Noël évidemment, mais aussi la fête des Saints Innocents le 28 décembre, la fête de l’âne et celle de la circoncision de Jésus, le 1er janvier, et enfin l’Épiphanie. Dans certaines régions, en particulier dans l’espace germanique à partir du XIIème siècle, c’est la Saint-Nicolas, le 6 décembre, qui marque le début de la période festive. Théoriquement, ce temps de réjouissances est précédé d’un temps de jeûne, d’un carême que l’on appelle l’Avent. Je dis théoriquement parce qu’en réalité, dès l’époque de Charlemagne, les laïcs ne marquent presque plus ces privations et l’Église abandonne cette tradition.

 

L’Épiphanie, qui célèbre la venue des Rois Mages auprès de Jésus, est une fête très populaire à partir du XIVème siècle. Elle conclut la période dite des Douze Jours. (miniature extraite des Très Riches Heures du Duc de Berry, folio 52r)

 

Au sein de cette longue période festive, on trouve dans la deuxième moitié du Moyen-Âge plein d’occasions de recevoir des cadeaux … de manière plus ou moins volontaire on va dire ! La Saint-Nicolas par exemple est marquée par la pratique des cadeaux offerts aux écoliers et étudiants, comme par exemple à Oxford en 1214, où l’université offre un repas gratuit aux étudiants les plus pauvres. On a conservé une liste exceptionnelle de cadeaux offerts le 6 décembre 1578 par le couvent de Saint-Nicolas des Ondes, à Strasbourg, au personnel qui y travaillait : parmi les cadeaux, on trouve des draps, des quenouilles, des pommes avec de l’argent enfoncé dedans, et même … un bonnet de nuit !

A côté de ces présents offerts de bon cœur, le cycle des douze jours est marqué par une tradition moins agréable : celle de la quête ! Écoliers, jeunes plus ou moins désœuvrés, compagnons et maîtres des corporations, nombreux sont les groupes qui font la quête entre Noël et l’Épiphanie dans les villes médiévales. Au départ plutôt bon enfant, la tradition dégénère rapidement : les quêteurs chantent des chansons aux habitants du coin, et reviennent le lendemain pour demander leur dû, parfois de manière insistante. En Alsace par exemple, au XV siècle, les veilleurs de nuit passent annoncer la nouvelle année à coups de trompe, et ne s’arrêtent que lorsqu’un cadeau leur est donné ! Les quêtes tournent parfois en pugilat entre bandes rivales, quand ce ne sont pas les habitants eux-mêmes, exaspérés, qui en viennent aux mains.

Peu à peu, la tradition des cadeaux se recentre sur Noël. C’est encore à Strasbourg que l’on trouve la plus ancienne mention : c’est dans un registre comptable de l’hôpital de la ville que l’on trouve la trace du premier cadeau de Noël, du pain d’épices offert à chacun des malades de l’institution. Avec la Réforme, en particulier dans l’espace germanique, les traditions de quête, de fête des fous et de charivaris vont peu à peu disparaître sous le coup de décrets municipaux les interdisant, ce qui va contribuer à recentrer la pratique des cadeaux sur le temps de Noël.

 

L’hôpital civil de Strasbourg conserve la plus ancienne mention de cadeau de Noël : elle date de 1412.

 

Nous avons l’origine du sapin et celle des cadeaux, mais il reste beaucoup d’autres éléments à retrouver dans les profondeurs de l’histoire ! Écoutez l’épisode Mystères et traditions d’un Noël médiéval, du podcast le Moyen-Âge dans tes Oreilles, pour retrouver tous ces éléments au cours d’un véritable voyage historique.