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Se réchauffer avant l’invention du chauffage : au Moyen-Âge et sous l’Ancien régime, même combat !

 

Dans le dernier épisode du podcast Le Moyen-Âge dans tes Oreilles, je vous emmène dans l’hiver médiéval pour découvrir comment faisaient les femmes et les hommes du Moyen-Âge pour se prémunir contre les assauts du froid. Au cours de l’épisode, je prends à plusieurs reprises des exemples issus des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècle. Je voudrais, dans cet article, vous expliquer pourquoi. Pourquoi traiter un sujet médiéval à coups d’exemples de l’époque moderne ? Devant une telle hérésie qui ferait dresser les cheveux sur la tête de n’importe quel historien défenseur farouche de la structuration des temps passés en périodes immuables, une explication s’impose.

Le confort, un concept ultra-moderne

L’histoire de la vie quotidienne, c’est avant tout l’histoire de grandes tendances. Aucune tendance ne marque mieux la rupture entre les périodes anciennes et notre époque contemporaine que celle du confort. Eh oui, parce que l’idée même de confort justement est extrêmement moderne. Si l’on définit le confort comme un état de bien-être matériel, libéré de toutes sensations désagréables (on a ni faim, ni froid, ni mal au dos, ni mal aux dents… bref, tout va bien), alors on peut dater ce concept du milieu du XIXème siècle. On commence à en voir les prémices dès la fin du XVIIIème siècle (ce dont on va reparler très vite dans cet article), mais pour être honnête, le concept ne se diffuse véritablement qu’après la Seconde Guerre mondiale. Avant les années 50, le confort n’est, pour l’écrasante majorité des Occidentaux, qu’une idée abstraite, un idéal que seul les plus aisés peuvent véritablement atteindre.

Cela ne veut pas dire que les sensations agréables soient absolument inconnues, ni même recherchées dans les époques anciennes, bien entendu. Dans le vocabulaire médiéval, on parle d’aisances ou de commodités par exemple : ces mots, toujours au pluriel, désignent en particulier les objets qui améliorent le quotidien. Avoir beaucoup de bois dans sa réserve, de bonnes couettes sur son lit, et même de bons vêtements bien chauds pour l’hiver, ce sont des commodités : ce sont elles qui séparent la vie frustre d’un pauvre artisan de la vie luxueuse d’un grand bourgeois médiéval.

Mais attention, les commodités ne sont pas le confort. Pour en venir au sujet du dernier épisode du podcast sur les rigueurs de l’hiver, eh bien les commodités ne suffisent pas à assurer le confort justement. Les moyens de chauffage dont disposent les médiévaux, qu’il s’agisse de la grande cheminée ouverte ou des différents types de braseros, et même du fameux poêle en argile qui existe en Europe centrale et orientale, ne sont pas en mesure de bien chauffer les habitations. Ces moyens sont inefficaces, et n’empêchent pas que l’intérieur des habitations gèle lors des grands froids. Avoir beaucoup de bois à brûler ou beaucoup de couettes sur son lit n’assure donc pas le confort : cela permet simplement de mieux vivre cette période difficile. Le véritable confort serait de pouvoir chauffer le logement à 20° si on le souhaite mais jusqu’à la Révolution industrielle, cet exploit est impossible, même pour les plus grands princes.

Jusqu’au développement des premières technologies de chauffage central à la fin du XVIIIème siècle, la cheminée ouverte et les braseros sont les moyens de chauffage courants dans les habitations, qu’elles soient pauvres, bourgeoises ou princières. Le poêle en argile puis en faïence reste le moyen le plus efficace de chauffer une pièce, mais on ne le rencontre que dans les espaces germaniques et slaves. Ici, on voit dans le coin gauche un grand poêle en carreaux de faïence, dans un intérieur typique de l’Allemagne du Sud à la fin du XVème (gravure de Johann Bämler, Gut Nuczlich Lere und Underweysung, mars 1476).

Une civilisation de l’économie permanente

Si ce confort est impossible, c’est pour une raison bien simple : avant de commencer à exploiter massivement le charbon, puis le pétrole et le gaz, l’humanité ne dispose pas de ressources aussi facilement accessibles et aussi efficaces. Le bois, principal combustible des époques anciennes, ne sert pas qu’à allumer la cheminée ou le brasero : dès le XIème siècle dans certains endroits, au XIIIème siècle partout en Europe occidentale, la forêt subit des pressions massives. Le monde médiéval a besoin de bois pour la construction de châteaux, d’églises, de logements, de navires, de moulins, mais également pour alimenter en combustible l’industrie du verre, du métal, de la brique, de la céramique…

Et on parle du bois, mais toutes les ressources des sociétés anciennes sont à la fois coûteuses et limitées. Il n’est pas toujours aisé de le réaliser aujourd’hui, mais l’abondance dans laquelle nous vivons vient entièrement des combustibles fossiles, quelle que soit la ressource concernée. Si le bois est aussi accessible aujourd’hui, c’est justement parce que ce sont des machines abreuvées de pétrole qui vont le couper pour nous en forêt, le transformer et l’amener jusqu’à notre cheminée.

Les sociétés préhistoriques, antiques, médiévales et modernes sont donc sobres, non par choix, mais par nécessité. L’univers mental issu de cette contrainte historique peut nous paraître aujourd’hui très exotique : on cherche en permanence à tout économiser. Rien n’est jeté, rien n’est gaspillé, tout est exploité jusqu’à ce que son potentiel soit parfaitement épuisé.

En 1564-1565 par exemple, la France est frappée par un hiver particulièrement rigoureux : le mercure descend vraisemblablement jusqu’à -15 voire -20°, et il fait si froid dans certaines maisons que la poignée des casseroles gèle alors même qu’elles sont sur le feu ! On pourrait croire que dans une telle situation, on fait fi de l’économie : après tout, c’est une question de survie. Eh bien non ! Le curé de Provins, Claude Haton, écrit dans son journal que les paysans préfèrent rester dans le lit avec toute la famille pour tenter de se réchauffer, et n’allument le feu que pour cuisiner le repas. Dès que le repas est cuit, on éteint le feu pour économiser les bûches, et on retourne sous la couette.

Durant le fameux « Petit Âge glaciaire », qui règne sur l’Europe entre le début du XIVème et le milieu du XIXème siècle, la température moyenne est plus basse d’environ 1°. Les hivers sont beaucoup plus rigoureux qu’aujourd’hui, et il n’est pas rare que le mercure descende en-dessous des -10°, jusqu’à geler les rivières (Pieter Brueghel le Jeune, Paysage d’hiver).

Une lente évolution technique … et mentale !

Tout ça commence à changer doucement à partir de la fin du XVIIIème siècle.

On commence alors à voir des médecins s’intéresser aux conditions de vie : le docteur Macquart, dans son Dictionnaire de la conservation de l’homme (1798), préconise ainsi de faire régner une température de 12 à 15° dans les habitations. Ça peut paraître peu, mais le simple fait de s’y intéresser est déjà une petite révolution. Il faut dire qu’avant l’invention du thermomètre au milieu du XVIIème siècle, on ne risquait pas de s’inquiéter de la température dans les logements.

En 1784, durant un hiver particulièrement rigoureux, on voit également le roi, Louis XVI, s’émouvoir de la détresse des pauvres gens qui n’ont rien pour se chauffer. Il décide de faire distribuer, aux frais de la Couronne, du bois et du charbon aux miséreux pour les aider à passer l’hiver. Là aussi, on voit que l’air du temps a évolué : au Moyen-Âge, quel que soit le siècle, aucun roi ne se serait soucié du chauffage des miséreux. Après tout, le roi lui-même grelottait dans son palais !

Pendant l’hiver 1784-1785, le roi Louis XVI s’émeut de la détresse de son peuple qui meurt (littéralement) de froid : il décide de distribuer du charbon et du bois aux nécessiteux. Signe des temps, cette émotion nouvelle face aux rigueurs de l’hiver lui vaut même une peinture ! (Philibert-Louis Debucourt, Trait d’humanité de Louis XVI pendant l’hiver 1785)

 

C’est bien avant tout dans les mentalités que l’évolution est la plus forte. La recherche d’un premier confort, innovation littéraire autant que psychologique, pousse les ingénieurs et architectes à améliorer les moyens de chauffage qui existent, notamment le poêle. Mais si ces améliorations trouvent un public, c’est justement parce que les mentalités, au moins celles de la bonne société, ont évolué et que la recherche de confort en hiver comme en été est désormais admise. Peu à peu, dans un très lent processus qui va durer jusqu’à la fin du XXème siècle, l’ancienne mentalité de souffrance sourde, d’acceptation d’une vie difficile qui caractérise les sociétés anciennes s’étiole pour céder la place à la recherche du confort partout, et tout le temps.

Le premier signe des temps est l’installation à la toute fin du XVIIIème siècle, des premiers systèmes de chauffage dans les usines de coton britanniques. Chauffer une grande salle presque entièrement vide, voilà qui aurait semblé tout à fait inutile à n’importe quel médiéval : quel gâchis de dépenser une précieuse ressource pour ça !